"Eh les filles, enlevez votre bonnet phrygien !
Jean
Sévillia
Journaliste et essayiste.
Rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, membre du comité scientifique du Figaro Histoire, et auteur de biographies et d’essais historiques.
Rédacteur en chef adjoint au Figaro Magazine, membre du comité scientifique du Figaro Histoire, et auteur de biographies et d’essais historiques.
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Une remarque préalable : les Manifs pour tous, je les
ai toutes faites, et ma famille de colleurs, tracteurs et veilleurs
également. Par conséquent, qu’on ne me fasse pas le procès du grincheux
qui boude dans son coin. Mais d’être opposé à la légalisation du mariage
homosexuel ne m’a pas fait perdre la mémoire.
Or, je trouve bien curieux que, dans toutes ces manifs si
sympathiques, des kyrielles de jeunes filles s’affublent d’un bonnet
phrygien. J’ai bien compris l’idée que les organisateurs veulent
traduire en les déguisant ainsi : l’heure est à la défense de la liberté
contre la dictature. Mais précisément, parce que je sais un peu
d’histoire de France, je m’autorise à souligner que le symbole est mal
choisi. Car pour ce qui est du combat de la liberté contre la
dictature, ce n’est vraiment pas du côté de la Révolution française
qu’il faut chercher.
Le bonnet phrygien, devenu l’emblème du mouvement révolutionnaire en
1790, s’impose fin 1792, son usage culminant jusqu’à la réaction
thermidorienne de 1794. C’est-à-dire que ce couvre-chef incarne peu ou
prou la Terreur et même la Grande Terreur, qui est sans doute un des
moments les plus tragiques de notre histoire.
Quand je vois un bonnet phrygien, je pense donc à la princesse de
Lamballe, assassinée pour crime d’amitié avec Marie-Antoinette, et dont
le corps nu, décapité au couteau de boucher, a été promené dans Paris,
la vue de son intimité soigneusement exposée suscitant des propos
égrillards de la part de délicats militants de la Liberté.
Quand je vois un bonnet phrygien, je pense à ces prêtres et à ces
religieuses que Carrier, à Nantes, déshabillait et liait nus, l’un à
l’autre, l’un face contre l’autre pour être précis, sexe contre sexe,
avant de les noyer dans la Loire. Ce charmant adepte de l’Égalité
appelait cela un « mariage républicain ». Parenthèse : détourner la symbolique du mariage n’est donc pas nouveau…
Quand je vois un bonnet phrygien, je pense à ce curé vendéen à qui
des soldats, sans doute partisans de la Fraternité, avaient tranché les
deux mains avant de répandre dans l’auge à cochons le contenu du
tabernacle de son église. Ce martyr a été retrouvé accroupi devant
l’auge, les deux avant-bras collés contre terre afin de tenter d’arrêter
l’hémorragie, et lapant dans l’auge, s’efforçant de disputer aux
cochons les hosties consacrées.
Je ne cherche pas ici à ranimer de vieilles querelles idéologiques, et je sais que le succès de la Manif pour tous
repose sur sa diversité et l’acceptation de cette diversité. Mais quand
même. Jolies jeunes filles de 2013 qui vous promenez avec un bonnet
phrygien, pensez aux crimes de 1793 : mettez-vous autre chose sur la
tête. Je vous assure que vous n’en serez que plus belles."
Jean Sévillia, le 22 avril 2013
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